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La démocratisation de l'école : nous sommes-nous trompés ?

Auteur : Admin  Créé le : 28/11/2023 08:54
Modifié le : 17/02/2024 13:37
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Le 34ème "Jeudi de l'histoire" était placé sous le signe de "L'histoire de l'enfant dans le Loiret depuis la Révolution".

Pour ouvrir cette journée, "Racines du Pays LoireBeauce" avait demandé à Antoine PROST,  professeur émérite, agrégé d'histoire, ayant enseigné au lycée Pothier, à l'université d'Orléans puis à l'université de Paris 1 Pantéon-Sorbonne, de présenter l'analyse qu'il a faite de notre système éducatif. Cette analyse, étayée sur les constatset les observations qu'il a faits lors des missions confiées par différents responsables politiques, notamment par un ancien Premier Ministre, était attendue. 

Antoine PROST lors du 34ème Jeudi de l'histoire le 26 octobre 2023 à Tournoisis

Il a tenu une chronique à la radio qui est disponible en poscast. Voir lien en bas ce cet article  

 

Pour comprendre l’histoire, il faut confronter les données globales aux réalités locales. J’ai réalisé comment s’était passé la réforme de l’enseignement des années 1960 quand j’ai étudié de près le cas orléanais.

La réforme

Elle avait deux objectifs. - augmenter fortement le niveau de formation des Français. En 1959, 17,6% seulement des élèves entraient en 6ème de lycée ; les autres entraient dans la vie active ou continuaient 2 ans ou 4 en cours complémentaire primaire (CC) - démocratiser l’enseignement. Les inégalités sociales à l’entrée en 6° étaient en effet très choquantes. À bon ou très bon niveau en CM2, les enfants d’ouvriers passaient au lycée presque autant que ceux de cadres supérieurs, mais deux fois moins au niveau moyen, et pratiquement pas à niveau faible, alors que la moitié des enfants de cadres avaient encore cette chance.

La réforme a consisté d’abord à aligner les programmes des premières classes de CC sur ceux des 6ème et 5ème dispersés nommés GOD (Groupes d’observation dispersés) et les CEG (collèges d’enseignement général) de la 6ème à la 3ème. On a créé des sections classiques dans certains CEG transformés ainsi en CES (collèges d’enseignement secondaire) tandis qu’on créait peu à peu des collèges autonomes avec les premiers cycles des lycées. Le collège s’est généralisé.

Il était censé orienter les élèves entre le classique, le moderne et le technique après un tronc commun d’un ou deux ans. Mais on n’a pas supprimé la différence entre classique et moderne dès la 6ème.

Les résultats orléanais

Dans le Loiret, 25% seulement des élèves de CM2 entraient en 6 ème en 1959. A Fleury-les-Aubrais, c’était 19 garçons sur 104. Mais l’Inspecteur d’Académie, Maurice Rouchette mobilisa si bien les instituteurs qu’il y eut à la rentrée 1960 45% d’élèves de plus en 6 ème, soit 3.261 contre 2.251 en 1959. La croissance était là.

Mais la démocratisation ? Pour l’apprécier, j’ai regardé la composition sociale des classes de 4ème, 2de et Terminale de tous les établissements de l’agglomération à partir des registres d’inscription, y compris les collèges privés qui l’ont accepté. Cette source manquait pour la 6ème. L’enquête a porté sur huit années, de 1947 à 1980.

Les résultats surprennent. Naturellement, la proportion d’élèves des classes populaires augmente puisque les enfants de la bourgeoisie allaient déjà au lycée. Mais si l’on considère les classes terminales, on voit diminuer la place les catégories supérieures et augmenter celle des ouvriers jusqu’au milieu des années 1960.

 

Il en va de même pour les 2de avec un point bas des cadres en 1962, un peu plus tôt que pour les terminales. Comme ces élèves sont entrés en 6ème vers 1958, il est clair que la démocratisation progressait avant la réforme ; après, elle n’a continué que par la massification des effectifs. Une démocratisation quantitative et non qualitative. Comment expliquer ce paradoxe ?

Avant la réforme, la démocratisation tenait à la qualité du primaire supérieur. Il disposait de nombreux maîtres expérimentés et n’était pas encore submergé par le baby boom d’après-guerre. Sa pédagogie ancrait les savoirs dans la vie (on n’enseignait pas l’acide phosphorique sans dire à quoi il servait et comment on le fabriquait). Enfin, le climat des classes était stimulant : faire entrer des élèves en seconde mobilisait les maîtres qui en tiraient satisfaction et fierté.

Après la réforme, l’ « orientation » a trié les meilleurs élèves et relégué les moins bons dans des classes de moindre valeur. Une distillation fractionnée a séparé des autres en 6ème ceux qui faisaient du latin, puis on a créé en 4ème à côté des classes générales, des classes de relégation sous des noms divers. Dans les premières, la démocratisation a progressé jusqu’en 1962. Les autres ont été peuplées d’enfants d’ouvriers, jusqu’à 60 % dès 1967.

Je laisserai la conclusion au directeur de l’enseignement technique qui s’opposait à la classe d’orientation voulue par son ministre Jean Zay : Si tous les enfants intelligents font des études qui n’ont point un caractère pratique, il n’y aura pour une vie pratique […], que ceux dont on aura dit qu’ils étaient inaptes à faire des études prolongées. Le danger serait que la société serait coupée en deux et que ce régime des classes contre lequel luttent toutes les démocraties, […] se trouverait ainsi institué par les intellectuels d’un côté et les manuels de l’autre. (Conseil supérieur de l’enseignement technique, 8 avril 1937). 

Retrouver Antoine Prost racontant le monde en 1913 en poscast sur:

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcast-1914-1918-juste-avant-que-le-monde-ne-bascule-a-quoi-aurait-ressemble-notre-vie-9886330