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La Ferme de Monpertuy pendant la guerre de 1870

Auteur : gaston  Créé le : 16/06/2023 18:04
Modifié le : 17/06/2023 08:39
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Jean-Marc Rousseau nous communique le récit de Pierre Stanislas Leflocq Thauvin, cultivateur à Huisseau-sur-Mauves, dans le canton de Meung-sur-Loire, illustration des exactions subies par les populations civiles en 1870- 1871.

La ferme de Monpertuy occupée 64 jours.

Pierre Stanislas Désiré Leflocq est né à Huisseau-sur-Mauves le 1er mai 1821. Il s'est marié le 16 décembre 1845, à Huisseau-sur-Mauves avec Octavie Eugénie Thauvin. Elle était née à Huisseau-sur-Mauves le 27 janvier 1826.

Ils habitent, pendant la guerre de 1870-1871, au hameau du Préau, à Monpertuy.

Le manuscrit de Leflocq Thauvin, écrit durant l'occupation prussienne, a été transcrit par Claude Daudin. Les maux endurés par ce paysan pendant l'occupation sont évoqués par plusieurs historiens dont Gustave Fautras.

Cette chronique est particulièrement intéressante dans la mesure où elle émane non pas d'un notable citadin mais d'un paysan vivant dans sa ferme, dans une commune de l'ouest orléanais, située au cœur des affrontements entre les belligérants. L'occupation y fut particulièrement pénible pour les populations civiles. Ce récit dresse un panorama complet des exactions subies par les femmes et les hommes de l'Orléanais comme une sorte de synthèse des maux de l'occupation de 1870-1871.

Le récit commence par un fait de résistance de la population, le 11 octobre 1870, contre des Prussiens qui voulaient couper les fils télégraphiques. L'armée française étant au nord d'Orléans, se rassemblent alors « environ cent cinquante personnes...armées de toutes sortes d'armes...fusils de chasses ...fusils de gardes nationaux...partis sans aucune organisation. » Un cheval tomba mort, un Prussien fut fait prisonnier... Le canon tonnant à Orléans, « c'est alors que nous nous sommes aperçus que ce que nous venions de faire n'était qu'une imprudence car nous courions d'abord le risque d'être fait prisonnier et d'être fusillés sur le champ et ensuite d'attirer la vengeance des Prussiens sur le pays. »

On voit bien que l'élan patriotique et l'esprit de résistance à l'invasion s'est vite effrité face aux risques de représailles. L'auteur, apprenant la retraite de l'armée de la Loire juge que « cette armée n'était pas assez bien organisée, trop peu nombreuse, faisant preuve de mauvaise volonté et de manque d'énergie. »

On se rend compte, qu'à ce moment du conflit, les habitants sont encore assez bien informés des événements de la guerre, pas encore confinés dans leur village.

A l'annonce de la déroute de l'armée française « chacun s'empressa de cacher ce qu'il avait de plus important, » à juste titre, puisque les premières réquisitions commencèrent dès le 14 octobre dans le bourg d'Huisseau, sous la menace d'incendies du pays en cas de mauvaise volonté.

Le 16 octobre, un groupe de uhlans exigea sous la menace, la fourniture dans le quart d'heure, de pain et de sacs d'avoine. Le 18 octobre, les fermes furent réquisitionnées : les bestiaux et les chevaux des paysans expulsés des granges, des écuries et des étables pour faire place aux chevaux des Prussiens ; le fermier en fut réduit à coucher dans le fournil, toutes les pièces de la maison étant occupées par les Allemands.

Le Flocq Thauvin exprime ses sentiments :

« Ceux qui n'ont pas passé dans ces circonstances aussi pénibles comprendront difficilement ce qu'il y a de triste en pareille occasion, quand on vous met en dehors de chez vous, qu'on s'empare de tout ce qui vous appartient, et que vous n'avez le droit de ne rien dire...Ma femme et mon fils pleuraient. »

Sa femme ayant pu être accueillie dans la maison d'une voisine, il précise qu'il fut obligé de coucher pendant 23 jours, dans son fournil, sur une méchante paillasse, seul avec dix Prussiens, sans pouvoir se déshabiller ni se changer, sans pouvoir approcher du feu de cheminée.

Seul avec trente-trois Prussiens il dut être constamment à leur service et constata des vols de la part des soldats. Il assista, dépité à l’abattage de plusieurs vaches, dépecées dans le pré pour satisfaire le féroce appétit de viande des occupants. La distribution des vivres se faisait dans sa ferme pour les 130 hommes et les 130 chevaux de l'escadron. On peut à l'évocation de ce nombre d'occupants mesurer le poids de cette présence.

Le fermier n'était « pas très rassuré... inquiet de voir tout mettre au pillage...peur des feux intenses dans la cheminée ».

Autorisé à faire du pain, « aussitôt cuit, les Prussiens en prenaient la moitié» . Il lui fallait constamment mettre le pain afin de la mettre « à l'abri des maraudeurs qui furetaient partout. »

Le hameau était bouclé, avec un poste de garde à chaque bout du village, et les habitants se sentaient prisonniers chez eux, dans l'impossibilité d'aller aux provisions sans un laissez-passer.

Le Flocq Thauvin confie alors : « Que notre pauvre pays était triste dans ces malheureux temps ; on ne voyait plus circuler sur les routes aucune voiture sans qu'elle fusse escortée ou menée par les Prussiens. »

Il note à plusieurs reprises le gaspillage des céréales stockées et non battues. Les Prussiens battaient l'avoine à la machine à battre et emmenaient chaque jour 120 à 130 mesures de grain (1 200 à 1300 litres). Puis ils commencèrent à donner à leurs chevaux de l'avoine en gerbes non battues puis de l'orge et même du blé.

Ces pratiques eurent de redoutables conséquences puisque même les graines réservées pour les semences furent ainsi gaspillées.

Il doit fournir du vin en grande quantité, mais il a pris la précaution d'en cacher trois pièces. Il voit gaspiller en deux ou trois jours, quarante pots de laitage et deux grandes pottes de crème et c'est avec amertume qu'il écrit : « Ceux qui n'ont pas subi l'invasion ne croiront jamais ce qu'il y a d'humiliant de se voir vexé à chaque instant et de ne pouvoir rien dire ; voir gaspiller et tout détruire ce qui vous appartient...de voit tout détruire en se moquant de vous...Que les jours me paraissaient longs et surtout les nuits. »

Ce sentiment d'humiliation permanente semble l'emporter sur le constat des pertes matérielles tout comme l'interdiction de se rassembler au risque « d'être aussitôt dispersés, de n'avoir personne à qui parler pour tâcher de se consoler un peu. » S'ajoute à cette solitude, la détresse de ne recevoir aucune nouvelle.

Il observe les Prussiens qui « faisaient tous les jours plein une grande casse de viande et qui en recevaient chacun au moins une demi-kilo » mais qui lui en réservaient toujours une portion » mais qu'il ne pouvait manger faute de pain. Le pain, accompagnement et base indispensable de tout repas pour un paysan beauceron.

En matière d'hygiène il se plaint de ne pouvoir « ni se raser, ni se blanchir, ...toujours dans les mêmes effets de jour et de nuit ».

Lorsque les occupants partent, ne serait-ce que pour quelques jours, pour aller combattre « on comprendra facilement la joie que l'on éprouve quand on se croit délivré d'un ennemi qui vous ruine et qui pille tout ce que vous avez, vous rend esclave et vous dit que ce n'est pas lui qui est chez vous, c'est vous qui êtes chez lui ; vous ne possédez plus rien, tout ce que vous aviez est à lui. »

Leflocq Thauvin est le seul des diaristes que nous avons lu à exprimer aussi clairement ses sentiments personnels face à l'occupation, à exprimer ses souffrances morales, sans toutefois exprimer un sentiment de haine.

Il note avec satisfaction « on était enfin débarrassé des Prussiens après 23 jours d'occupation consécutive, sans compter les jours qu'ils étaient venus en réquisition avant d'être campé. » Dès le 10 novembre, lui, sa femme et son fils se mettent « à nettoyer les bâtiments ; tout était à l'envers, on ne retrouvait plus rien, une partie des objets avaient été emportés ou perdus ». Ils n'arrivent pas avant huit jours à se débarrasser de la mauvaise odeur qu'ils attribuent au tabac des Prussiens. Pour l'auteur, non pas l'odeur de l'ennemi, mais plutôt l'odeur tenace de soldats en campagne.

Il est triste de ne pouvoir aider les soldats français revenus dans le village, qu'il observe dans un total état de dénuement, de ne pouvoir fournir du bois pour se chauffer. Aussi il regrette qu'ils en viennent à couper les haies et les buissons et à arracher les charniers dans les vignes.

Il relate avec amertume l'enrichissement des cafetiers et des marchands qui faisaient de bonnes affaires en vendant « à tous ces mobiles qui avaient de l'argent » et s'insurge contre « les officiers qui faisaient bombance et selon (lui) gaspillaient l'argent de la France » au lieu de poursuivre les Allemands après la victoire de Coulmiers.

Cette situation l'amène à réfléchir « sur les tristes conséquences que cette guerre pouvait avoir sur la France (et se demande) combien de temps cela pouvait durer et quel en serait le dénouement. »

L'opposition à la guerre, l'aspiration à la paix semble avoir été partagée par les paysans.

Après la défaite de Loigny, le 3 décembre, il relate avec force, l'exode des habitants de Patay « obligés d'abandonner leurs maisons et de fuir...une partie des fermiers emmenaient leurs bestiaux...Ce n'était plus une retraite mais une véritable débandade...c'était à qui passerait devant, la panique était générale...soldats de toutes sortes, voitures d'approvisionnement, voitures de particuliers, convois de bestiaux, tout cela mêlés ensemble. » 

Les scènes d'exode avaient été décrites par d'autres diaristes, avant la première invasion d'Orléans, mais ces mêmes scènes d'exode consécutives aux défaites sur les terres beauceronnes le sont plus rarement.

Le 6 décembre, commence à Huisseau une seconde occupation prussienne, beaucoup plus dure que la première : « Ceux qui ont vécu parmi les Prussiens pendant l'invasion comprendront facilement quel embarras c'était, quand ils arrivaient au moment où on ne les attendait pas, surtout la nuit.Il fallait débarrasser tous les bâtiments pour faire de la place, pour eux et pour leurs chevaux », cette seconde fois pour 110 hommes et 100 chevaux dans une ferme.

Le fermier raconte comment face à son refus d'atteler ses chevaux à une voiture pour se rendre à Orléans il fut molesté : « Ils m'attrapèrent par le collet de ma blouse...et me donnaient des coups de crosse de fusil dans les reins pour me faire décider à leur obéir. » Le fourrier des hussards lui conseilla alors de quitter le village. Il ne retrouva jamais ni ses voitures, ni ses chevaux, avouant avoir pleuré en les voyant maltraités, attaché qu'il était à ses animaux.

Bloqués par des combats entre Loiret et Loir-et-Cher, les Prussiens font des allers-retours et les pénuries s'accroissent, tout comme le poids des occupants dans les maisons, dans les rues, pillant, détruisant, brûlant le moindre morceau de bois. Le Flocq Thauvin constate à ce moment, qu'il a logé des Prussiens pendant trente jours en deux fois.

Le 21 décembre, de nouveaux occupants, en quête de pillage, commencèrent à démolir la motte du four à pain. Voulant empêcher cette destruction, le fermier fut « giflé brutalement et insolemment » ... (son ) sang français se révolta dans (ses) veines » et sans réfléchir, dans «  une colère sans borne » de se voir outragé , il riposta par un vigoureux coup de poing. Il fut aussitôt battu violemment par un trentaine de soldats qui l'emportèrent dans un abreuvoir et lui plongèrent la têt dans le bassin, le frappèrent à nouveau. Le récit décrit bien la fureur et la férocité des Prussiens. Leflocq Thauvin fut soigné par une voisine.

La terreur comme principe, la violence face à toute action de résistance. Tous les diaristes l'ont racontée sans en être directement les victimes.

Leflocq Thauvin constate amèrement : « Il faut avoir passé dans ces malheureuses circonstances pour croire ce qu'il y a de pénible de se voir aussi près de perdre la vie ; ce n'était pas que je regrettais de mourir, car on était si malheureux qu'on était pas du tout attaché à la vie, mais c'était de me voir si lâchement maltraité seul avec des ennemis ; je pensais à ma femme et à mes enfants que je ne croyais plus revoir. »

Il quitta sa maison pour échapper à ses bourreaux. Pendant son absence, ils pillèrent la ferme et brûlèrent divers objets : tombereau, herse, machine à battre, charpentes, meubles.

Quand il revint chez lui, début janvier, « la maison n'était pas habitable, il n'y avait pas un seul carreau de reste aux fenêtres, tous les meubles et les portes étaient brisés et une partie brûlés. »

Le 9 janvier l'auteur évoque l'épidémie de petite vérole, la maladie « faisant des ravages affreux ». Il est lui-même très touché puisque sa sœur, son beau-frère, son fils sont morts de la variole. Il relate que « l'épidémie continuait toujours ses ravages ; il est mort vingt et une personnes dans le mois de janvier...il n'y eut guère de familles qui n'eurent à déplorer la perte d'un ou plusieurs parents plus ou moins proche, presque toutes les familles étaient en deuil. »

Viennent à partir du 7 janvier 1871 des mises à contribution des communes. Celles qui refusèrent de contribuer, notamment La Chapelle et Ingré, «  n'y ont pas gagné, parce qu'elles ont été réoccupées. »

Vient ensuite le temps de la « suspension d'armes de huit jours, pour avoir le temps de nommer une assemblée nationale qui pût faire la paix avec la Prusse ».

L'auteur affiche son opinion sur le sujet on expliquant que « si on avait mis fin «à cette guerre désastreuse ...après la défaite de Sedan...on eut fait la paix à cette époque dans des conditions bien moins dures pour la France...on aurait évité bien des malheurs car il n'y avait à cette époque que quelques départements d'envahis et nos contrées auraient été préservées de l'invasion. »

Après le traité de paix, le fermier de Huisseau n'a plus revu de Prussiens chez lui que lorsqu' ils sont passés pour retourner en Prusse, les 10, 11 et 12 mars. Il constate alors « que comme la paix était signée, ils étaient moins méchants, mais c'était toujours désagréable de les voir.».

Ce témoignage diffère d'autres écrits, notamment en Eure-et-Loir, où les troupes allemandes se conduisirent de manière insolente lors de leur repli.

En guise de bilan il constate qu'il avait commencé à loger les premiers Prussiens cinq mois auparavant, et qu'au total ils furent logés soixante-quatre jours.

Avec la paix, chacun reprit ses travaux. L'hiver ayant été rigoureux, la plus grande partie des blés était gelée et il fallut réensemencer les terres. Comme il fit exceptionnellement beau, la terre était très facile à travailler.Toutefois, beaucoup de chevaux avaient été volés, ce qui compliquait le travail.

Après cette occupation, le fermier décida de louer ses terres, n'en gardant qu'une faible partie et dit vouloir « tâcher d'oublier un peu les malheurs qui venaient de (l') accabler. »

En guise de conclusion il rappelle combien, « pendant le cours de cette guerre désastreuse » il a maudit ceux qui en étaient les auteurs, et qui étaient la cause de toutes ses pertes et de tous ses malheurs. Il s'interroge : « Pourquoi les souverains ont-ils de droit de disposer des destinées d'un peuple ? ».

Il songe aux enfants tombés sur les champs de batailles pour ne plus se relever, aux blessés qui ne pourront plus travailler, aux personnes ruinées sans espoir « dans la culture surtout, car c'est la culture qui fournissait toute l'alimentation de l'armée ennemie, et ils réquisitionnaient sans payer »

Il désespère de constater combien de maisons, comme chez lui, où rien n'est resté, où le monde a été maltraité. Il conclut : « La guerre est une barbarie sans exemple qui ne devrait pas exister chez les peuples civilisés, car c'est la ruine des nations, même pour les vainqueurs ».

Il termine par une critique des partis « qui se mettent en haine l'un contre l'autre et qui arrivent à la guerre civile », allusion à la Commune.

Une estimation des pertes subies, longue liste de biens volés ou brûlés conduit à la somme considérable de 12 583 F. Finalement, l'indemnisation se monta à 3 300 F, soit le tiers de la somme retenue par la commission départementale.

Ce récit, sans doute légèrement remanié est précieux par sa tonalité non engagée et par la précision des faits relatés. Les dommages et les exactions subis par ce fermier reflètent bien le spectre d'une guerre où les civils furent durement touchés économiquement, moralement et physiquement. On note également l'absence de tout sentiment de haine ou d'esprit de revanche dans ses écrits, ce qui contraste avec d'autres témoignages.

 

Dans une prochaine publication nous croiserons les récits de l'occupation subie par plusieurs paysans beaucerons.

 

NB : Le mémoire de Master de Marc-Aurèle ROUSSEAU, relatif aux « Conséquences de l'occupation allemande de 1870-1871 sur les populations civiles de l'Orléanais » . 2022

Il est possible de se procurer ce mémoire via l'adresse mail;< jmrous45@gmail.com>.