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Les migrants saisonniers vers 1880 dans le pays LoireBeauce

Auteur : Patrick  Créé le : 09/01/2025 21:32
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La moisson « manuelle » a longtemps été faite en Beauce par des migrants saisonniers. La main d’œuvre locale étant très insuffisante pendant les périodes de moisson.

Cependant, la venue des travailleurs des régions périphériques (Perche, Normandie,…), pour la moisson, déclina au début du 20ème siècle, remplacée par celle des Bretons et des Belges (betteraves).

Une explication donnée est que la faucille à dents qui permettait le sciage ou « soyage » du blé a été remplacée par la faux (fauchage) après la Révolution, qui sera remplacée ensuite par les machines agricoles (coût de la main d’œuvre diminué, rentabilité…). C’est la diffusion des moissonneuses mécanique qui diminua le nombre de migrants saisonniers puisque le travail à la faux était désormais limité à celui de couper les blés en bordure des champs pour laisser le passage à la faucheuse, ou à la coupe des pièces dans lesquelles le blé était couché. Les migrants saisonniers seront donc les victimes de la mécanisation agricole en Beauce vers la fin du 19ème siècle. Ainsi par exemple, en 1852, ils étaient 15000 personnes environ dans la Beauce d’Eure et Loir et plus que 7000 environ en 1912 selon les données de Jean Claude Farcy.

Pour raconter cette « migration saisonnière en pays LoireBeauce », un curé de Patay, dans son bulletin paroissial du mois d’Août 1910, nous a apporté son témoignage dont voici, ci-après, le récit.

 

 

« Au moment ou, dans nos plaines, les épis vont tomber sous les dents des moissonneuses-lieuses ou des faucheuses aux grandes ailes (figure 1 ci-dessous), au moment ou les lourds chariots vont amener les gerbes à la grange ou à la meule, je voudrais redire, en quelques lignes, comment on faisait la moisson, dans nos contrées, il y a 30 ou 40 ans.

 

En ce temps là, pour la moisson, de nombreux « étrangers » s’abattaient sur la Beauce ; vignerons, bûcherons, Percherons, Manceaux…Dans certaines contrées, il n’y avait guère que les Percherons : c’était le cas, dans les plaines de Patay et Meung Sur Loire.

Beaucoup de moissonneurs venaient à pied de 15, 20 lieues (environ 70 à 100km) à la ronde. Ils se rendaient à la Madeleine, au Puiset, à la Saint-Jacques, à Patay, à la Sainte Anne, à Baignolet, et s’ils ne trouvaient pas d’ouvrage, ils retournaient dans leur « pais » (pays). D’autres arrivaient, dans de grandes voitures, chantant et devisant joyeusement, racontant, avec fierté, leurs campagnes en Beauce, comme les vieux soldats de Napoléon le Grand, leurs campagnes à travers l’Europe !

Leur tâche n’était jamais assez forte ! Ils auraient entrepris de faucher toutes les plaines de Beauce ! Après la moisson de blé, ils réclamaient encore de l’avoine à ramasser ; le maître le promettait, mais il ne comptait guère sur la promesse de ses faucheurs.

 

En ce temps là, les plaines, de grand matin, étaient couvertes de faucheurs et de ramasseurs. Bien longtemps avant que la cloche s’ébranle pour sonner l’Angelus, au sommet des tours et des clochers beaucerons, on entendait le grincement des faux et les cris joyeux des moissonneurs.

Parfois, dans certains villages, les sonneurs voulaient passer pour des hommes matinaux. Et ils sonnaient l’Angelus à 3heures et même 2h du matin. Mais, l’histoire ne dit pas s’ils ne retournaient pas au lit, au lieu de partir aux champs. Du moins, l’honneur des sonneurs était sauf ! …

 

En ce temps là, les moissonneurs se reposaient le dimanche.

Un habitant de Tivernon, l’une de mes anciennes paroisses, me disait, un jour, que, dans la vieille église, il fallait apporter des bancs ; il n’y avait pas assez de place pour tout le monde.

Pour moi, je me rappelle avoir vu bien souvent, dans mon enfance (à Charsonville), les ramasseuses aller à la Messe, chaque dimanche, revêtues du costume de leur pays….

 

En ce temps là, c’était grande fête, quand la moisson de blé était finie. Bien souvent, les Percherons ne pensaient plus aux promesses qu’ils avaient faites de ramasser de l’avoine. Dès qu’ils voyaient un compatriote partir pour le « pais », rien ne pouvait plus les retenir.

« En vérité, le maître ! disaient-ils, si ça ne vous gêne pas, nous ne ramasserons pas d’avoine ! »

Et souvent, ça ne gênait pas le maître. Vite, les Percherons préparaient leurs bagages. La veille du départ, on faisait la « parsie », ou repas d’adieu. On mangeait, on buvait, on chantait. Le maître payait et quand il était content, il ne manquait pas de donner « les aiguillettes », c'est-à-dire une petite somme qui n’était pas comprise dans le prix de la tâche.

Le jour du départ, la fermière se levait de grand matin pour cuire et faire des gâteaux pour les moissonneurs. Comme les mères emportaient précieusement ces gâteaux pour leurs petits enfants, qui, au pays, attendaient anxieusement mères et gâteaux de Beauce !

Et les moissonneurs partaient joyeux, non sans promettre de revenir l’année suivante. Souvent ils tenaient parole. Les mêmes faucheurs servaient quelquefois huit, dix ans dans la même ferme. Ils finissaient par être de la famille et prenaient part à ses joies comme à ses deuils.

 

En ce temps là, tout n’était pas fini, quand les faucheurs avaient quitté la ferme. Restaient « les mars », c'est-à-dire les avoines et les orges, à ramasser. C’est pendant cette deuxième moisson qu’on était matineux ! Parfois, on avait du mal à trouver son champ à cause de l’obscurité. Et il n’était pas rare d’entendre dire que certains s’étaient perdus dans la plaine. Parfois 10, 15, 20 personnes se trouvaient réunies.

Les Beaucerons ont un tempérament grave. Cependant, ces matins là, on ne s’ennuyait pas. Combien joyeux étaient ces départs, et les plaisanteries avaient bien vite réveillé les gens à peine éveillés. Et comme elles étaient impressionnantes ces matinées ! Quand on partait, les étoiles brillaient encore dans le ciel, puis, petit à petit, l’aurore blanchissait l’orient. Le soleil apparaissait à l’horizon, et illuminait la plaine ou les gerbes d’avoine et d’orge s’étalaient à perte de vue. Le sommeil était bien court, ces nuits là, le travail très dur, mais, combien ce spectacle était fortifiant ! ».

 

Texte du curé Félix Gasnier

 

 

 

 

Sources

 

Bulletin Paroissial de Patay d’Août 1910

Jean Claude Farcy « le monde rural face au changement technique : le cas de la Beauce au 19ème siècle. Histoire, économie et société, 1983 - HAL