Rechercher un article, un évennement, un acteur à l'aide de mots clé    

Carnet de voyage du curé de Tivernon et d'Oison au Vatican en 1904

Auteur : Patrick  Créé le : 27/07/2024 14:34
Modifié le : 04/08/2024 12:14
Exporter l'article au format pdf

Préambule

Félix Paul Gasnier naquit en 1864. Il fut ordonné prêtre en 1890 et fut curé de la paroisse de Tivernon et du village d’Oison de 1895 à 1906. A cette époque, il n’existait que la paroisse de Tivernon et le village d’Oison qui lui été rattaché car depuis la révolution la commune d’Oison n’était plus une paroisse. Elle conservait cependant son église.

Il s’était rendu à deux reprises au Vatican à Rome, comme en témoignent ses notes dans le bulletin paroissial « l’Echo de Tivernon et d’Oison » dont la 1ère édition date de novembre 1898.

La première fois en 1900 il va à Rome en pèlerinage. Il a 36 ans. Il visite Rome et voit le Pape Léon XIII (1878-1903) dans l’église Saint Pierre avec plusieurs milliers de pèlerins venus du monde entier. Il visite l’Ile de Capri et en revenant à Naples, par mer, le soir, il aperçoit le Vésuve dont du sommet s’échappent des bouffées de fumée. La seconde fois en 1904, ses deux frères l’accompagnent dans son voyage en Italie.

Le carnet de voyage n'existe pas mais la description du voyage à Rome, ci-dessous, du curé Félix Gasnier, est basée sur des faits historique et réels comme par exemple ses rencontres avec le Pape.

 

Le Sillon

C’est vers 1890 que naissent le « Sillon » et la revue du même nom, créée par Paul Renaudin puis dirigée par Marc Sangnier. A partir de 1899, le Sillon était devenu un mouvement destiné à réconcilier les ouvriers et le christianisme. De 1899 à 1905, la préoccupation principale du Sillon était l’éducation populaire.

Léon XIII n’hésite pas à condamner le sort réservé aux ouvriers ainsi que la concentration des industries et du commerce dans les mains d’une poignée de personnes “cupides“. Il reconnaît même la nécessité pour les ouvriers de s’organiser en créant si possible des corporations, au pire des syndicats chrétiens.

Le Sillon fédère puis intègre en 1905 les nombreux « cercles d’études catholiques », où jeunes et prêtres discutent de religion, de société. L’ambiance est nouvelle : la vérité ne tombe pas du haut, de l’institution, c’est l’échange qui prime. Le mouvement rassemble jusqu’à 25 000 personnes. À cette époque, le Sillon bénéficie de l’appui du pape Pie X (1903-1914). et de l’épiscopat français.

Cependant, trop républicain par rapport au reste de l’Eglise, traumatisée en 1905 par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le mouvement était critiqué notamment parce qu’il affirmait l’autorité des chrétiens sur l’Eglise et non plus celle du pape et des évêques. Le Sillon était finalement condamné par le Pape en 1910.

Le curé Félix Gasnier adhéra aux idées du Sillon. En effet, on lui doit le premier bulletin paroissial de Tivernon et d’Oison et on voit, au travers de ses écrits qu’il était très préoccupé des conditions de vie de ses paroissiens et attaché à la vie quotidienne des paysans. Par son bulletin paroissial il tentait de rapprocher le monde des chrétiens et le monde du peuple.

L’archevêque de Chambéry (François Hautin), qui avait été vicaire général du diocèse d’Orléans et dont Tivernon était la paroisse de son père et de ses aïeux, était abonné à l’Echo de Tivernon. C’est lui qui le 10 septembre 1890 consacra la nouvelle église de Tivernon.

 

Le voyage

Les moissons sont terminées et mes deux frères (Jean et Henri) me rejoignent au presbytère de Tivernon lundi après midi. Nous sommes le 29 Août 1904. Nous partirons le lendemain matin par le train de Tivernon vers la gare d’Austerlitz. Le départ de la gare de Lyon à Paris, pour participer au pèlerinage à Rome, est à 14h10. La compagnie PLM (Paris Lyon Marseille) avait profitée des grands travaux de l’exposition universelle de 1900 pour se doter d’une gare prestigieuse avec une façade de 7 baies et un beffroi.. Nous faisons partie du pèlerinage de Lyon.

Les fêtes jubilaires de l’Immaculée Conception, qui se continuent toute l’année à Rome, auront un éclat incomparable le 8 septembre prochain, à l’occasion de la fête de la Nativité de la Vierge. Le comité de la « France du Travail » et du « Sillon » a choisi cette date pour son pèlerinage annuel à Rome, afin de permettre aux pèlerins de prendre part à ces fêtes. Le Sillon s’est  joint au pèlerinage de la « France au Travail » que Léon Harmel conduit depuis 1886.

Nous avons choisi de prendre un « train circulaire de Paris », permettant de visiter Gênes, Florence, Assise, Padoue, Venise, Milan, retour par la suisse et 9 jours à Rome. Nous visiterons également Naples et Pompéi.

Les frais de voyage, nourriture et logement sont compris dans le prix ; 3ème classe ; 208 francs, 2ème classe ; 253 francs et 1ère classe ; 310 francs.

Nous pouvions, pour avoir plus de renseignements sur le déroulement du voyage, écrire au Sillon au 34 boulevard Raspail, Paris VII.

 

Mercredi 31 Août

Notre train de pèlerins arrive à Modane vers 4h du matin. Là, nous descendons pour subir la visite de la douane. Modane est la ville frontière où il faut subir les ennuis d’une double douane ; visa des passeports, inspection des bagages, contrôle des billets. Retardés par la douane, nous n’avons que le temps de monter dans le train italien. Le grand tunnel du Mont Cenis (ou de Fréjus) nous sépare encore de l’Italie. Nous y rentrons par la vallée de Suze, montagnes escarpées et couvertes de neige. La vallée s’élargit, les montagnes font place aux collines, les villages se rapprochent, nous allons vers la plaine du Pô.

Arrivés à Gênes vers 15h, nous visitons la ville. Gênes a des palais magnifiques, des églises d’une grande richesse, un Campo Santo unique, des rues étroites et montantes. Son port est animé. L’église la plus riche et la mieux décorée est l’Annunziata, tenue par les disciples de Saint François d’Assise.

 

Jeudi 1er septembre

Après avoir jeté un dernier regard sur la patrie de Christophe Colomb, dont le monument orne la place de la gare, nous quittons Gênes, « la Superbe » à 6h30 du matin et arrivons à Pise à 11h du matin.

Départ de Pise vers midi pour arriver à Florence à 13h30, la ville des arts. Nous y arrivons par la gare centrale qui donne près de l’église S Maria Novella et de la place de l’Unité italienne. C’est une grande ville située sur les deux rives de l’Orno et il y a beaucoup trop à voir à Florence pour nous qui n’avons qu’une demi journée. Nous sommes allés jusqu’au couvent de Saint Marc en traversant le Ponte Vecchio. Nous reprenons le train à Florence à 22h30 pour Assise.

 

Vendredi 2 septembre

Nous descendons du train de nuit à Assise vers 3h30 du matin. Après une bonne nuit de sommeil nous visitons, le matin, la basilique de la Portioncule qui est près de la gare sans aller jusqu’à la petite ville médiévale d’Assise qui est à 4km de distance, perchée sur un mamelon assez élevé. Nous partons d’Assise à 12h30 et arrivons à Rome, à la gare Termini, vers 18h30.

 

Samedi 3 septembre

La journée fut consacrée à nous loger et nous reposer de notre très long voyage.

 

Dimanche 4 septembre

Le pèlerinage de Lyon, dont je fais partie, avec mes deux frères, a été reçu, dès le dimanche 4 septembre, à 5h, par sa Sainteté. Quelle bonté peinte sur le visage du Très Saint Père. Il passait devant les pèlerins, et à tous il serrait la main et donnait son anneau à baiser. Quelle tristesse aussi sur le visage de Pie X ! Et combien le calomnient ceux qui disent que, de gaîté de cœur, il accepte toutes les difficultés qu’il rencontre dans son suprême ministère !

 

Lundi 5, Mardi 6, Mercredi 7 septembre

Je n’ai pas de renseignements sur ce que visitèrent le curé Gasnier et ses deux frères. Il est possible qu’ils aient arpentés Rome et admirèrent le Colisée, quelques églises, le Capitole et le Forum, la fontaine de Trévi……

 

Jeudi 8 septembre

Fête de la Nativité de la Très Sainte Vierge, le Pape nous a de nouveau reçus. Tous les pèlerins de Lyon, Paris, Toulouse, Marseille étaient réunis, dans la magnifique salle de la loggia, au nombre de 1500 environ. A l’arrivée du Saint Père, les acclamations retentissent de toutes parts. Sa Sainteté passe entre nos rangs, à pied. La musique pontificale accompagne le chant si beau, si enlevant de l’étendard de Jeanne d’Arc, de Marcel Laurent.

Mgr l’archevêque de Toulouse présente au Souverain Pontife les pèlerins français. M Harmel prend la parole à son tour et dit le dévouement des vrais français pour le Pape. Sa sainteté répond en italien à cette double adresse par une allocution que Mgr Bisletti, camérier secret, nous répète en français. Nous remarquons l’émotion et l’énergie avec lesquelles Pie X déclare qu’il est prêt à souffrir pour la grandeur et le bien de notre France.

La séance est finie. Pie X repasse dans nos rangs, plus joyeux, ce nous semble, qu’à son arrivée, devant cet enthousiasme des français. Le soir même, le saint Père nous envoyait le texte français de son allocution. On était alors à dîner ; Mgr de Toulouse porta un toast, ou, en termes très délicats, il exprima l’attachement des Français pour le Pape. M Gonin, de Lyon, dans une improvisation vibrante de foi et de patriotisme, remercia tout à la ois le Saint Père, le cardinal Martinelli, qui présidait le repas, et Mgr l’archevêque de Toulouse. M Garnier termina la série des toasts, en remerciant Mgr Bisletti ; à propos, il rappela cette phrase de l’allocution pontificale qui n’a pas été imprimée ; « j’accepte la souffrance jusqu’à la mort, s’il le faut ».

 

Cette soirée du 8 septembre sera pour nous une soirée qui ne s’oublie pas. Elle a dû consoler le Saint Père et lui montrer que, sur notre terre de France, les francs catholiques l’aiment, le vénèrent et saluent en lui le vicaire de Jésus Christ et le successeur de Saint Pierre.

Puissent les Français, les vrais, venir à Rome, en plus grand nombre que jamais, témoigner leur inviolable attachement à Pie X, ce Pape des humbles, si bon, si accueillant et si aimé des ouvriers et des jeunes.

Nous quittons Rome et allons à Naples. C’est un trajet qui se fait en 5h environ par le train.

En revenant de la visite de Pompéi nous sommes allés par mer de Torré annunziata à Naples.

 

Vendredi 9 septembre

Le curé écrit de Naples la rencontre avec le Pape du 8 septembre et qui sera publiée dans les annales religieuses du diocèse d’Orléans n° 38 du 17 septembre 1904. Naples, la ville bâtie, comme Gênes, en amphithéâtre sur une haute colline qui domine la mer.

 

Samedi 10 septembre

Retour à Rome.

 

Dimanche 11 septembre

A 11 heures, le Pape a accordé une audience spéciale aux délégués du Sillon. Environ 500 membres de cette association étaient réunis dans la salle Royale. La jeune garde en uniforme encadrait le groupe. Au fond de la salle se détachait le drapeau tricolore du cercle d’études de Charleville. M Marc Sangnier et les chefs de service se rendirent à la rencontre du Pape dans l’antichambre. Pie X, escorté par la cour pontificale prit place sur un trône dressé à côté de la chapelle Sixitine.

Son Eminence le cardinal Vivès y Tuto présente les pèlerins du Sillon. Il exprima la joie qu’il éprouvait de pouvoir présenter au Pape, la fleur choisie, des jeunes gens de France, animés d’un ardent esprit de foi et d’attachement au Saint-Siège. Parmi eux, se trouvaient des groupes variés car le même apostolat a fait surgir des initiatives diverses.

M Marc Sangnier lit d’une voix vibrante une adresse dont nous donnons ces quelques lignes :

« les angoisses de la France n’ont pas tué l’espérance dans nos œuvres. Les nouvelles générations qui montent à la vie s’apercevront enfin que les rêves de fraternité et de justice sociale ne peuvent devenir réalité sans la force divine que le Christ est venu apporter au monde. La démocratie que nous voulons travailler à fonder, réclame impérieusement le catholicisme pour préciser, fortifier, orienter et discipliner ces aspirations….

Nous n’avons nullement la prétention injustifiée de solliciter de Votre Sainteté une préférence exclusive pour les méthodes propres du Sillon, ni une confirmation formelle de notre confiance en l’avenir de la démocratie en France.

Nous tenons seulement à déclarer devant vous que nous savons qu’aucun but humain, qu’aucune préférence particulière ne doit jamais dominer les divines nécessités de la grande unité religieuse catholique.

Nous voulons aussi affirmer que rien n’est mieux fait, pour respecter pleinement la sainte liberté des enfants de Dieu, que la hiérarchie officielle de l’Eglise ; tenant ces pouvoirs même de son divin fondateur et placée comme un flambeau devant les siècles qui passent, elle domine les contingences humaines et accueille tous ses enfants avec un cœur égal… »

Le Pape a répondu en italien. Il s’exprima avec tant de communicative affection que lorsqu’il dit qu’il veut être considéré comme un ami et quand il affirma le droit pour le Sillon de continuer ses méthodes propres, tous comprirent et applaudirent.

D’ailleurs, Mgr Bisletti lut la traduction imprimée du discours du Pape, qui fut ensuite distribué aux pèlerins.

Puis le Pape donna sa bénédiction solennelle.

M Marc Sangnier présenta alors à Pie X une gerbe d’épis de blé apporté de France et nouée avec un ruban rouge en expliquant le symbole e ce don. Ensuite le commandant de la jeune garde présente les jeunes gardes, reçus samedi en l’église Saint Joachim, après la veillée d’adoration. Spontanément, le Pape se dirigea jusqu’au fond de l’allée qu’occupait la jeune garde et bénit et embrassa le drapeau tricolore porté par l’enfant d’un pèlerin. C’est au milieu des applaudissements les plus enthousiastes que Pie X quitta la salle.

A midi eut lieu le banquet du Belvédère et M Marc Sangnier prononça le discours des adieux.

 

Dimanche 11 septembre

Départ de Rome (gare Termini) vers 17h en direction de Venise.

 

Lundi 12 septembre

Arrivée à Padoue à 6h du matin et départ vers 11h30.

Nous arrivons à Venise à 13h15 et prenons, sur le Grand Canal, le bateau à vapeur qui fait le service public des voyageurs et arrivons à Saint Marc, le cœur même de Venise. Nous quittons Venise à 17h30 et arrivons à Milan vers 22h30.

 

Mardi 13 septembre

Milan, capitale de la Lombardie. Le matin, nous prenons, tout près de la gare centrale le tramway en direction de la place du Dôme. Au milieu de cette place, en face du Dôme (il Duomo), s’élève la statue équestre du roi Victor-Emmanuel II en bronze. Mais il faudrait rester une semaine au moins pour tout voir à Milan,. Nous quittons Milan vers midi. Arrivée à Lucerne vers 19h et départ vers 20h le même jour.

 

Mercredi 14 septembre

Arrivée à Paris vers 8h du matin. Il retrouve sa chère paroisse de Tivernon et d’Oison vers midi. Le curé Gasnier relatera quelques éléments de son voyage en Italie dans son bulletin paroissial et gardera un souvenir ému de son voyage.

 

Suite

Longtemps après son voyage à Rome, le curé Félix Gasnier sera nommé curé de Saint Denis de l’Hôtel puis doyen de Patay à 46 ans en 1910 et enfin chanoine honoraire de Patay en 1922. Il aura la joie de revenir, une dernière fois, à Rome, le 16 mai 1920 pour assister à la canonisation de la Bienheureuse Jeanne d’Arc par le pape Benoit XV.

Alors qu’il était curé de Tivernon et d’Oison, Félix Gasnier écrivit dans son bulletin paroissial n° 28 (L’Echo de Tivernon et d’Oison) dans la nuit du 31 décembre 1900 au 1er janvier 1901 :

«Le nouveau siècle est commencé ; que se passera-t-il pendant ces 100 ans ? Mystère ! Dans 100 ans, ce presbytère existera-t-il encore ? Mystère !

Mais ce que je sais bien, c’est que, nous autres vivants, nous dormirons notre dernier sommeil. Les uns après les autres, nous aurons disparu de la scène du monde. Prêtre et fidèles, nous serons bien oubliés ! Une humble croix de bois ou de fer ou un superbe monument recouvrira notre corps. Qu’importe ! ».

Félix Gasnier repose en paix, depuis le 4 octobre 1929, dans le petit cimetière de Charsonville avec ses parents et son frère Albert.

 

 

Sources :

  • Archives Départementales du Loiret - Bulletin paroissial de Tivernon et d’Oison (1899-1904)
  • Loiret Généalogique
  • Lettre parue dans les annales religieuses (n° 38) du diocèse d’Orléans du 17 septembre 1904
  • Lettre parue dans les annales religieuses (n° 40) du diocèse d’Orléans du 1er octobre 1904
  • Extrait du journal Le Sillon de l’Est du 10 mars 1904
  • Extrait journal du Loiret du samedi 2 juillet 1904
  • Documents transmis par Mme Annick Lutton
  • Gallica