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L'exode d'un paysan du hameau de Chandry d'Ouzouer le Marche, rapporte par lui-meme (Armand Pelle)

Auteur :  Créé le : 15/12/2021 09:39
Modifié le : 15/12/2021 09:46
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Si le texte rapporté ci dessous rapporte un épisode du début de la guerre 39/45 tel qu'il a été vécu par Monsieur Armand PELLE, il constituerait un témoignage supplémentaire à mémoriser pour nos enfants. Le fait que nous ayons découvert qu'il ait été écrit en vers,lui donne un attrait suplémentaire.

Ainsi parla Grand-père à ses petits enfants

assis sur ses genoux, attentifs et souriants.

Je vais vous raconter les tristes épisodes

de la grande aventure qu’on appela « l’exode ».

 

Par moi ordre reçu, venu on ne sait d’où,

car de son origine on ne connait pas tout.

Le quatorze de juin de mille neuf cent quarante.

Il y a le pauvre monde, l’effroi et l’épouvante.

 

De l’armée de la Loire, on gêne la manœuvre

et pour nous éloigner, on mettait tout en œuvre

pour vous les rapporter par nous avec soins,

toutes les choses offensées dont je fus le témoin

à Chandry, mon village et ce fut grandes rumeurs.

 

Les femmes sont tremblantes et les enfants ont peur,

on charge les voitures, on charge les guimbardes,

on entasse les paquets et les ballots de hardes.

Les hommes détachent les chiens et lâchent les bestiaux

et s’en vont tristement en par de leurs chevaux.

 

Et puis de temps en temps regardent dernière eux.

Du revers de la main, ils s’en essuient les yeux

puis ils s’en vont passer la Loire à Beaugency.

Ils s’en vont droit devant roulant vers le Berry.

 

Ne voulant pas partir, j’étais resté au lit,

quand soudain j’entends une voix dans la nuit,

« Grand-père, allons vers les bois, on nous attend ».

A l’appel des enfants, j’ai répondu présent

et on fait comme les autres, j’ai chargé ma carriole,

j’ai fermé ma maison, j’ai lâché mes bestioles.

 

Et puis sans réfléchir si c’était bien ou mal,

j’allais droit à Ouzouer au trot de mon cheval.

Déjà des pauvres bêtes étaient en liberté,

elles broutaient dans les prairies, elles piétinaient les blés

à Ouzouer.

 

On y voit presque rien, la lumière est diffuse,

sur la place du marché près notre vieille église,

on charge les paquets, ballots et marchandises.

Dans les airs, on entend les avions qui vrombissent

et dans les rues du bourg, tant de chevaux qui hennissent.

 

On vide les maisons, on emplit les voitures

et chacun se prépare pour la grande aventure.

Le samedi quinze de juin avant soleil levé

par la rue Neuve d’Anchat, Ouzouer est évacué.

 

Après maints incidents et de nombreux revers,

nous arrivons enfin à la ville de Mer.

Là, nos chevaux ont soif, nous leur donnons à boire

puis sur le pont miné, nous traversons la Loire.

 

La Loire aux belles rives toujours remuantes ou mobiles.

Et dont les eaux doucement s’écoulent sur le sable.

Après un court parcours, nous arrivons à Muides.

Il n’y a plus personne, toutes les maisons sont vides,

les solognots partis, évacués en Gascogne.

 

J’ai vu les beaucerons envahir la Sologne.

Là, nous laissâmes passer le lamentable cortège.

Là, nous nous arrêtons, ce sera notre auberge,

car tous sont exténués, les bêtes, les gens.

 

Pour passer la nuit là, chacun de nous s’apprête.

Nous campons à la rive d’une superbe prairie,

de plus de cent voitures, elle est vite envahie

de tous ces véhicules, elle se trouve couverte

et de nombreux chevaux en mangent l’herbe verte.

 

Enfin, on va s’assoir, on mange les provisions

que tout chacun a prises en quittant sa maison.

Tous ils viennent, des familles séparées,

ce fut là le bilan de la première journée.

Puis chacun se repose, couché sur la verdure.

Moi, j’ai passé la nuit assis sur ma voiture.

 

De là, je vois une femme couchée près d’un tombereau

essayant de dormir, roulée dans son manteau.

Auprès d’elle, un vieillard dans un lambeau de toile.

De ses grands yeux ouverts, elle regarde les étoiles

et après une nuit passe, là, sans sommeil.

 

Tout le monde est debout au lever du soleil.

Ce fut l’égalité, les pauvres et les riches

ont couché côte à côte ensemble sur les friches.

Dans le claquement des fouets, des jurons et des cris

pour la deuxième étape, nous sommes repartis.

 

La route n’est pas large, elle devient trop étroite,

nous roulons sur trois rangs, on ne tient plus sa droite.

Déborde une grande auto, nous arrive en coup de vent,

verse dans un guéret et ce fut l’épouvante.

Et de l’autre côté à la même minute,

une voiture d’enfant dans le fossé culbute.

 

Bientôt c’est la cohue, la ruée dans l’inconnu,

c’est un encombrement qui jamais ne s’est vu.

Les autres nous dépassent, ils craignent le retard.

Ici, un cheval rue en cassant les brancards.

 

Allant doucement, nous éloignant du nord,

nous arrivons enfin au parc de Chambord,

nous entrons sur un rang et par priorité.

Le convoi en entier s’est trouvé retardé

et voilà que l’on entend là-haut dans le ciel,

des avions qui se livrent un terrible duel.

Tout le monde descend, se couche dans les herbes.

Moi, je restai assis sur ma voiture à gerbes.

 

La bataille est finie, un avion rode encore

et toujours, on entend son vrombissement sonore.

De la marche lenteur, nous tenons le record.

Enfin, on nous arrête tous auprès de Chambord.

 

Chambord, château royal du premier des françois,

merveille de notre France. Je le vois pour la première fois.

Des messieurs galonnés portant des ceintures,

d’un geste de la main arrêtent les voitures.

Ils règlent la manœuvre de tous les véhicules.

Donc, on avance un peu quand un autre recule.

Ils font signe à chacun à mesure qu’on arrive.

 

Nous passons le Beuvron, nous sommes sur l’autre rive.

Enfin, quittant Chambord, nous allons vers Bracieux.

Bracieux sur le Beuvron, rivière poissonneuse où j’ai vu

nos voitures pillées et mon cheval perdu.

 

Au milieu de la ville, nous sommes arrêtés.

Un convoi militaire à la priorité.

Puis c’est l’encombrement et puis l’embouteillage.

Un piéton a grand peine à se frayer passage.

 

Il est midi passé et tout le monde a faim

mais à la boulangerie, il n’y a plus de pain.

La cohue fait queue. La porte en est fermée

mais la fenêtre s’ouvre et la foule affamée

crie, se bouscule, on n’attend pas son tour

mais enfin on aura du pain sortant du four.

Quoique très fatigué, le boulanger soutenu

fait une autre fournée. Il faut attendre une heure.

 

Une jeune maman, son enfant dans ses bras,

le dorlote doucement en murmurant bien bas.

Ecartant les plus faibles, les hommes les plus forts

se placent les premiers, prétendant qu’ils n’ont pas tort.

Et moi qui regardais cette mauvaise action,

y ai vu l’instinct bestial remplacer la raison.

 

Puis deux hommes se querellent sur la route de Soings

pour un morceau de pain. Ils se montrent le poing,

je me remémore cette visite première

que toujours la faim a été mauvaise conseillère.

 

Sans regret, nous partons pour revenir demain.

Nous laissons nos chevaux, là dans un pré voisin.

Fuyant la bataille et les mettre en lieu sûr.

Conduisant nos familles à Brézé près Saumur.

 

Lentement, nous gravissons la route qui serpente

et des coteaux boisés, nous contournâmes les pentes.

La nuit, nous traversons Montrichard bombardée.

Regardant en passant les maisons écroulées.

 

Au sortir de la ville, un grand sénégalais

nous demande en jargon si nous étions français.

Fuyant dans la nuit sombre, nous nous éloignons toujours.

Sur le grand pont de pierres, passons la Loire à Tours

quand enfin, apparait la lumière de l’aurore.

Sur les ponts de Saumur. Nous la passons encore

et le lundi dix-sept avant soleil levé,

nous arrivâmes aux caves de Brézé.

 

Il ne faut pas penser à Ouzouer, revenir.

Nous n’avons plus d’essence, ne pouvant plus partir.

En quittant nos logis, on craignait la mitraille,

ici nous sommes en plein dans le champ de bataille.

 

Là, nous avons connu les heures les plus graves.

Et nous avons couché plusieurs nuits dans les caves,

nous étions trente d’Ouzouer, peut-être davantage,

nous sommes bien accueillis dans ce petit village.

 

On s’est fait des amis parmi ces bons angevins.

Et chez tous ces braves gens, on goutait le bon vin

de Monsieur Vain, vigneron, un paysan très digne.

Je les aidais souvent à accoler sa vigne.

 

Les larmes aux yeux, c’est à Brézé sur la route qui monte

que j’ai vu la débâcle, la déroute et la honte.

Une armée sans chef et des chefs sans soldat

après dix mois de guerre, c’était le résultat.

Démoralisés, tous nous tendaient la main.

 

On leur donnait à boire avec un morceau de pain,

j’ai vu là un petit caporal.

Type français, courageux et loyal.

Disant ainsi nos soldats qui formaient son escouade :

« tout est fini pour vous mes chers camarades,

allez où vous voudrez, le reste me regarde.

Comme à Waterloo, je fais donner la garde. »

 

La garde, espoir suprême, était au coin d’un bois.

Et, je les ai comptés, et tous ils étaient trois.

En voyant tout cela, je me suis aperçu

qu’ils étaient sans espoir et que nous étions vaincus.

 

Puis en me retournant, j’ai vu les vainqueurs,

pour la première fois, dans ce jour de malheur

arrivant par les routes, les chemins, les sentiers.

Ils occupaient les villes et les villages entiers,

tous alertes, ils grimpaient les coteaux,

traversaient les viviers, franchissaient les ruisseaux.

 

Le vingt et un juin, le jour du solstice,

un soldat allemand nous apprend qu’est signé l’armistice.

Le vingt cinq au matin au commencement du jour,

tous nous prenons le chemin du retour.

 

En pensant à Ouzouer, à notre vieux clocher.

Comment arrivions nous, qu’allons nous retrouver ?

Nous sortons sains et saufs de la grande tourmente

mais ne connaissons rien de ce qui nous attend.

 

Notre premier arrêt à la lisière d’un bois

est fait par les allemands pour passer leur convoi.

Nous sommes au ralenti dans une argile compacte.

Un officier ordonne d’enlever le contact.

A cet ordre donné, il nous fait merci.

Et le convoi passé, nous pouvons repartir

en traversant les vignes et la belle Touraine.

Nous désirons revoir notre Beauce et ses plaines.

Sur un pont réparé, nous repassons la Loire.

 

Nous traversons la Sarthe, nous sommes en Loir et Cher

à Montoire, à Morée, là ce n’est plus le Cher.

Nous regagnons Binas, souvenirs de bataille,

à l’approche de nos murs est sorti la mitraille.

Je me souviens encore certains communiqués

où de violents combats nous étaient annoncés.

 

Au sud de Châteaudun, j’ai pensé à Chandry,

en passant je l’ai vu mais c’était Boussy.

Auprès de ce village, deux morts sont enterrés

et des débris de guerre, là sont enchevêtrés.

 

Enfin, nous arrivons, en nous pressant un peu,

nous voilà à Ouzouer à l’heure du couvre feu.

Les maisons sont debout, elles ont été pillées,

une nuée de brigands les ont toutes dévastées,

dignes héritiers des vandales d’autrefois.

De la bande d’Orgères ont doublé les emplois,

ce qu’ils n’ont pas volé, ils l’ont anéanti.

Ils ont cassé, brisé tous ce qu’ils n’ont pas pris.

 

Notre vieux maire est là, vieillard aux cheveux blancs.

Et que se remémorer ses souvenirs d’enfance

à l’aurore de sa vie, il a vu Ouzouer occupé

au crépuscule de sa vie, il la vu dévasté.

Fidèle à sa commune, il ne l’a point quittée.

Il est là, presque seul, veillant sur la cité.

Mais il ne fait rien n’ayant les moyens

d’empêcher les pillages et la ruine de ses concitoyens.

 

Le soir du dix-sept juin, le vainqueur arriva.

Il était là présent à lui le premier officier du devoir.

A moi, on m’a volé cheval et équipage.

A pied le lendemain, je regagne mon village.

 

Le chemin en est long et je pense au passé.

Au temps où dans ces lieux, ce n’étaient que genets.

Je recommence l’histoire où les légions romaines

pendant des siècles ont occupé ces plaines

puis je revois le gaulois Brennus à Rome.

De la rançon, pour augmenter la somme

d’un geste de vainqueur sur la pesée d’écus.

Y être sa lande épiée en criant victoire ou malheur aux vaincus.

 

10 feuillets sur papier de soie écrits au crayon de bois,

Document transcrit, le 12 décembre 2013 par

Sylvie Pousset

45130 Baccon

Mis en forme de poême Par MC ; MARINVAL

 

Racines du Pays Loire-Beauce en nov 2021