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Les seigneurs de Charsonville au 17ème siècle - La famille De Croisilles (1ère partie)

Auteur : Patrick  Créé le : 28/03/2024 13:00
Modifié le : 28/03/2024 13:18
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Préambule

Le rôle du hasard dans la recherche historique est parfois important. En effet, c’est tout simplement à partir de cette phrase, lue dans un acte notarié de Charsonville, de Juin 1685 ; « Simon de Croisilles chevalier seigneur de Charsonville Moulins Lalandelle et autres lieux demeurant ordinairement audit Moulins paroisse de Lande pays blésois » que j’ai découvert la résidence « secondaire » de la famille De Croisilles à Landes Le Gaulois, petit village situé au nord de Blois dans le Loir et Cher.

En effet, la famille de Croisilles (originaire du Calvados) fut propriétaire de la seigneurie de Charsonville de 1620 à 1717 environ. Elle a succédée à la famille de Montmorency-Fosseux. Les propriétaires de la seigneurie de Charsonville, au 17ème siècle, furent d’abord Nicolas (traité dans ce document : 1ère partie), puis (traité dans le document 2ème partie) son fils Simon, ensuite Catherine Perrochel, la femme de Simon et enfin Marie, la fille de Simon et Catherine Perrochel.

Il convient d’ajouter que le terme « chevalier », placé à la suite d’un nom propre était une qualification noble, et non un titre de noblesse. Tous les nobles à cette époque étaient écuyers ou chevaliers. Ajoutons également qu’à cette époque une « seigneurie » est une terre sur laquelle le seigneur a des droits de justice, chasse, perception des rentes… Ces droits sont liés à la terre elle-même et non à son propriétaire. Les terres assurent un revenu foncier au seigneur. A Charsonville, la plupart des terres dépendaient d’une seigneurie laïque (ou ecclésiastique comme par exemple la ferme de Meslon et Villeray). Ces terres étaient soumises à des droits féodaux ou seigneuriaux. Très peu de terres étaient en « alleu », c'est-à-dire libres de toutes charges.

Au début de l’appartenance de la seigneurie de Charsonville à Nicolas de Croisilles, la féodalité politique et militaire médiévale était morte. Restait cependant une féodalité civile qui donnait encore aux seigneurs le gouvernement des campagnes. Les seigneurs demeuraient les maîtres dans leurs fiefs car le pouvoir royal, s'il avait, en droit, la puissance publique, ne disposait pas d'une organisation administrative suffisante pour être constamment présent dans toutes les provinces. Cependant, au début du 18ème siècle le pouvoir royal dans les campagnes va enfin s’affirmer et la paroisse de Charsonville sera soumise à la gouvernance des officiers royaux et non plus à son seigneur.

C’est à l’aide, principalement, du Loiret Généalogique, des Archives du Loiret et du Loir et Cher, des Archives Nationales, du livre « Diane, bâtarde du roi » de Claude Lote et Claude Troquet  que j’ai trouvé les généalogies et les événements ci-après.

 

Généalogie simplifiée de l’origine de la famille de Croisilles

(D’après Geneanet)

Un descendant de la famille de Croisilles, chevalier banneret, est allé en croisade à Jérusalem en 1096. Le chevalier banneret possédait assez de biens pour lever une bannière, c'est-à-dire grouper sous son autorité plusieurs chevaliers. Les bannerets portaient à la guerre, comme signe distinctif une bannière. Après son retour de la Terre Sainte, il fonda sur la terre qu’il habitait une église autour de laquelle s’éleva bientôt une paroisse du nom de Croisilles située au sud de Caen dans le Calvados.

Longtemps après, Pierre de Croisilles, au 15ème siècle, seigneur des Fosses, fut l’ancêtre commun à toutes les branches de Croisilles dont :

- Pierre de Croisilles époux de Raouline de Malherbe

- Laurent de Croisilles, seigneur des Fosses marié en 1470 avec Perrette Beaumesnil

- Nicolas de Croisilles, seigneur des Fosses, époux en 1488 de Philipette du Désert

- François de Croisilles, seigneur des Fosses, époux en 1512 de Catherine de Nocey

- Jean de Croisilles, seigneur des Fosses, époux de Alison de Baussain en 1535

- Guillaume de Croisilles, seigneur des Fosses, père de Nicolas de Croisilles (futur seigneur de Charsonville), époux de Louise de Tournebu en 1568. En 1778, La Chenaye (historien, généalogiste) écrit : « la baronnie de Tournebu est l’une des plus anciennes de la province de Normandie… ».

 

Nicolas de Croisilles

Nicolas de Croisilles est né probablement entre 1570 et 1580 sous le règne de Charles IX ou celui de Henri III, au milieu des guerres de religion (1562-1598) qui opposeront en France les protestants aux catholiques.

En 1613 il épouse Anne de Tuffany (née en 1594 et décédée après 1654), fille de Guillaume de Tuffany (seigneur de Moulins sur la commune actuelle de Landes Le Gaulois) et de Anne Doré. Guillaume de Tuffany était notaire, secrétaire du roi et secrétaire du duc de Joyeuse. Il fut marié à Paris en 1586 avec Anne Doré, fille de Pierre Doré, seigneur de Vigneux, conseiller du roi, résidant à Blois et de Anne Seigneuret.

Sous l’ancien Régime, le mariage dépasse largement le cadre de l’union entre deux individus. A travers lui, les familles recherchent honneur et respectabilité. C’est aussi vrai pour les paysans que pour les nobles. Toutefois, pour ces derniers, la notion de lignage, c'est-à-dire la longue chaîne des ancêtres et la promesse de descendance (mâle) induite par le mariage, est au centre des tractions qui précédent le mariage. Les Croisilles ne dérogent pas à la règle.

Par son mariage avec Anne de Tuffany, Nicolas de Croisilles, comme plus tard son fils Simon, devient seigneur de Moulins à Landes et habite le château ci-dessous. Le couple devait également habiter Paris.

 

 

Le couple eut 3 enfants :

Simon de Croisilles

Il est né entre 1613/1620 et décède avant 1688. Il sera le prochain seigneur de Charsonville après son père, marié d’abord avec Jeanne Perrot puis avec Anne Perrochel le 20 janvier 1668.

Anne de Croisilles

Le 23 janvier 1644 elle épouse le marquis Michel-Denis de Chaumejean de Fourilles (décédé en 1667). En 1642 le château de Fourilles (en Allier) appartenait à la famille Chaumejean mais face à une situation financière difficile elle vendit le château en 1647. Le marquis avait épousé en première noce, en 1632, Geneviève Foulé. Du premier lit il eut une fille et du second deux fils.

Le père de Michel-Denis (Blaise de Chaumejean) marié en 1596 avec Hyppolite Louise dame de Fouchault, marquis de Fourilles, et seigneur de Fouchault vivait encore en 1620 dans le château de Fouchault.

Michel-Denis était seigneur de Fouchault. La terre et le domaine de Fouchault passèrent ensuite à Charles-Louis Prévost de St Cyr (famille Prévost-Marie de Croisilles). Les Prévost de St Cyr sont restés propriétaires du domaine jusqu’en 1793. Le château fut vendu puis démolit en grande partie en 1830. Le château de Fouchault est situé sur l’ancienne commune de Vallières, aujourd’hui commune de Fondettes, située à proximité de Tours.

Marguerite de Croisilles, mariée en 1649, d’abord avec Charles de l’Escouet puis en 1659 avec César Louis de Campet, comte de Saujon (1605-1670) en Charente Maritime. Ils eurent  7 enfants. Avant son mariage elle a été plusieurs fois marraine à Charsonville.

 

Deux paroisses à Lande

L’ancienne commune de Lande (ou Landes) résulte de la réunion, à la révolution française, de deux paroisses et donc de deux églises (St Martin de Lande appartenant au diocèse de Tours et St Lubin de Lande appartenant au diocèse de Chartres). En 1918 Lande est devenue Landes-le-Gaulois. L’église St Lubin existe encore et celle de  St Martin a été détruite en 1793.

Pour autant, le château des Moulins appartenait à ces deux paroisses. Dans les actes paroissiaux de celles ci, au 17ème siècle, on retrouve le séjour au château de Moulins, de personnages importants, tels que :

- Guillaume de Croisilles en 1627. Il était le 41 ème abbé de 1626 à 1632 de l’abbaye de Fontaines les Blanches, diocèse de Tours, de l’ordre de Citeaux (actuelle commune d’Autrèche dans l’Indre et Loir). Il était conseiller et aumônier du roi Louis XIII. Il donna sa démission en 1632 en faveur de son frère Nicolas.

- René le Fuzelier en 1636, seigneur de Lande, de la Motte et Cormeray qui sera marié à Louise d’Orléans (branche de Rère) en 1641. Il vend ses biens et titres de Lande en 1653.

- François d’Orléans en 1640, seigneur du  Plessis de Rère. Il épouse Elisabeth Carré en 1640.

- Nicolas de Croisilles en 1645. Il était le 42 ème abbé commandataire de l’abbaye de Fontaines les Blanches, conseiller et aumônier du roi Louis XIII. Il mourut en 1647. Il s’agit peut être de Nicolas de Croisilles, bachelier en théologie à Paris. Il fut parrain à Charsonville en 1637.

Contrairement à l’abbé régulier qui est élu par ses paires, l’abbé commandataire est un abbé qui se voit pourvu d’un monastère ou d’une abbaye par le Roi. Il s’agira souvent d’hommes de bonne famille qui auront plus le souci de leur bien être que de celui de leur abbaye dont ils tireront le plus de profit possible. Ils ne sont pas soumis aux règles de l‘abbaye pas plus qu’aux vœux prononcés par les moines et, dans la plupart des cas, ils n’habitent pas sur place.

- Paul de Tuffany en 1653, seigneur du Coudray (Mayenne), conseiller et secrétaire du roi

             - Jacques de Croisilles en 1670, abbé de St Pierre de Clécy (14).

 

 

Nicolas de Croisilles, seigneur de Charsonville

On retrouve dans les archives les deux affaires suivantes, dans lesquelles Nicolas de Croisilles joua un rôle important :

Dans la première affaire il représenta, devant la justice de Paris, Marie de Beaune (1557-1611), épouse de Anne de Montmorency, seigneur de Charsonville, dans une affaire de succession de son défunt oncle l'archevêque de Sens, Renaud de Beaune de Semblançay (1527-1606). Renaud de Beaune était également abbé de Notre Dame de Molesme en Bourgogne. Lui succédera, comme abbé de Molesme, le fils de Marie de Beaune ; François de Montmorency-Chateaubrun (1590-1646) (Seigneur de Charsonville jusqu’en 1619).

Anne de Montmorency-Fosseux était parent avec Anne de Montmorency (1493-1567), Grand Connétable de France, ami intime des rois François 1er et Henri II. Leurs parents communs étaient Jean II de Montmorency et Jeanne de Fosseux.

La deuxième affaire concerne Diane de France, duchesse d’Angoulême (1538- 1619), fille légitimée du futur roi Henri II. Diane épousa en 1557 François de Montmorency (fils aîné du Grand connétable Anne de Montmorency).

A la fin de sa vie, sans enfants vivants, l’amour que Diane porte à son neveu, Charles de Valois, marié avec Charlotte de Montmorency, l’incite à en faire son principal héritier. Mais Diane ne choisit pas son neveu car il est trop dépensier. Elle trouve donc une solution pour sauvegarder sa fortune. Elle nomme légataire universel François, le fils de Charles et de Charlotte. A charge pour lui d’assurer à ses parents, leur vie durant, une rente annuelle de 3000 livres. Les intentions de la duchesse d’Angoulême pour sa succession sont donc claires ; privilégier le plus possible son petit neveu François. Elle le connaît bien et elle espère qu’il sera moins dépensier que son père. Mais par prudence, dans le but de le défendre contre l’avidité de sa famille, elle nomme un curateur, Nicolas de Croisilles, pour vérifier « l’emploi de ses deniers ».

Or, un an après la mort de Diane, soit en avril 1620, deux opérations importantes sont réalisées par le jeune François en faveur de ses parents.

Tout d’abord, il leur vend les « bagues, joyaux et vaisselle d’or et d’argent » ayant appartenu à Diane. Est-ce réellement une vente car aucun prix de vente n’est indiqué sur le document de vente ou est ce un don déguisé ? Ces biens représentent près de 60000 livres. Le même jour, Charlotte de Montmorency vend à Nicolas de Croisilles la seigneurie de Fleurac. Le prix est de 30000 livres. Cependant, deux jours plus tard, un autre document fait état de l’achat en deux moitiés, par François de Valois, de la même propriété. Ce jour là, près de 260 000 livres de l’héritage de Diane sont donc revenues à la mère (Charlotte) et à la tante de François. Mais il reste toujours l’énigme de la vente préalable à Nicolas de Croisilles…. 

Après les deux affaires ci-dessus, la fortune de Nicolas de Croisilles semble s’être accrue puisqu’il achète à Paris, le 26/9/1619, une parcelle de terrain appartenant à la famille Jacquelin. Il y fait construire un hôtel particulier au 12 rue du Parc Royal (3 ème). Cette demeure, toujours existante (voir photo ci-dessous), est achevée en 1620. Un peu plus tard Nicolas achète une autre parcelle derrière l’hôtel et y aménage un jardin. L’hôtel qu’il habite avec toute sa famille est proche de la Place Royale (actuelle Place des Vosges).

 

Peu de temps après l’achèvement de son hôtel particulier à Paris, probablement entre 1620-1632, Nicolas achète la seigneurie de Charsonville et de Villemain. En effet en 1618, François de Montmorency (abbé de Molesme) était encore seigneur de Charsonville alors qu’en 1632 il ne l’est plus car Anne de Tuffany se présente comme « dame de Charsonville ».

 

La seigneurie de Charsonville se compose à cette époque de la Grand’Maison (encore existante), de la grange à Champarts (encore existante), du Grand Moulin, de différents droits et rentes (boucherie…) et de plusieurs exploitations agricoles appelées métairies. Ces métairies sont : les fermes du Grand Villemain et du petit Villemain, la ferme de Mortelle, la ferme de La Basse Cour.

Nicolas de Croisilles loue directement ses métairies et son Grand Moulin à des paysans de la paroisse de Charsonville (on dit paroisse à cette époque et non commune) qui sont nommés laboureurs dans des baux d’une durée de 3 à 9 ans. Le seigneur n’est donc pas directement producteur, ce qui réduit les conflits quand il s’agit d’embaucher de la main d’œuvre ou de vendre les productions.

 

 

 

 

La « Grand’Maison » ou « maison seigneuriale » de Charsonville (plan ci-dessus de 1670) devient donc « la résidence de passage » de la famille de Croisilles située entre leur hôtel à Paris et leur château de Moulins à Landes. La famille de Croisilles s’y arrête pour signer des documents (baux, registres paroissiaux, droit de boucherie…). Grâce à leurs signatures on peut retrouver les dates de leurs passages.

Malgré l’éloignement entre Charsonville et Lande, des rencontres se font entre les deux paroisses puisqu’ en 1654 un habitant de la paroisse de St Lubin de Lande épouse une habitante de Charsonville en présence de Anne de Tuffany.

Dans les archives paroissiales de Charsonville, les signatures de la famille de Croisilles apparaissent en nombre (environ 15 signatures entre 1623 et 1701). Je pense qu’elles marquent l’attachement profond de la famille de Croisilles au village et à leurs habitants, ce qui sera moins le cas au 18ème siècle pour les autres seigneurs de Charsonville.

 

Plus tard, dans le cadre de la répression de la 3ème rébellion huguenote, en 1627, Nicolas de Croisilles lève un régiment. Il participe au siège de la Rochelle (1627-1628) puis il fait les campagnes de 1629 et 1630 en Savoie et enfin le régiment est licencié en 1631.

Au fur et à mesure du temps, Nicolas de Croisilles agrandit son patrimoine. En effet, le 10 février 1628, il achète à Guillemette de Vassy le fief de Saint Rémy sur Orne (14) puis le 17 septembre 1632, il achète à Pierre de Pellevé, le fief et la terre de La Landelle, paroisse de Clécy (14). Nicolas de Croisilles est alors conseiller du Roi et intendant du Duc d’Angoulême.

Après le décès de Nicolas de Croisilles (avant 1640), Anne de Tuffany continue à habiter l’hôtel de Croisilles à Paris. Mais le 29 avril 1647 elle demande l’estimation de l’hôtel et le 5 juillet 1647, elle le vend à Etienne Macquart (conseiller, secrétaire du Roi).

 

Fin de la 1ère partie.